« Je me suis dit que c’était une opportunité unique »

Capturer le CO2 industriel : un Wallon aux commandes d’un projet européen clé

Guy De Weireld, professeur à l’UMons, coordonne cet important projet de recherche européen qui réunit 14 partenaires issus de 8 pays. Originalité ? Des tests « grandeur nature » sont prévus au programme. MOF4Air va se déployer sa technologie de capture du CO2 sur des fumées d’une centrale de production d’énergie en Norvège, d’une raffinerie de pétrole en Turquie et d’ un incinérateur de déchets en France.

Ce sont de simples « petites billes ». À première vue, elles font penser à de gros granulés… Mais ne nous y trompons pas. Ces petites billes, c’est une révolution en puissance ! En agissant comme une éponge, elles captent le CO2 des fumées industrielles. Ces fumées, issues des cimenteries, sidérurgies, raffineries, verreries, incinérateurs… représentent 38% du total des émissions anthropiques mondiales.

Ces billes sont des billes composées de « MOF », pour metal-organic framework. Ces MOFs agissent comme un tamis dont les mailles sont de la taille des molécules et piègent le CO2, tout en laissant passer les autres composants. Placés dans une colonne à la sortie d’une cheminée d’usine, ces MOFs pourront capturer le CO2 durant un laps de temps estimé à 15 ans, les MOFs étant régénérés périodiquement. Et quid du CO2 capturé ? Il peut, par exemple, servir de matières premières pour fabriquer de nouvelles ressources, comme du gaz naturel de synthèse (méthane), du méthanol…

Ce matériau très prometteur a été testé et calibré en laboratoire. Il fait l’objet de nombreux articles scientifiques. Mais il n’avait jamais donné lieu à des tests grandeur nature pour capturer du CO2, en condition réelle. C’est la raison d’être du projet européen MOF4Air.

Un projet inspirant à plus d’un titre
MOF4Air s’inscrit pleinement dans le cadre du Green Deal européen qui est dans tous les esprits. Il s’agit d’un très gros projet puisqu’il réunit 14 partenaires de 8 pays, et qu’il va donner lieu à des tests dans 3 unités pilotes : une centrale électrique en Norvège, une raffinerie en Turquie et un incinérateur de déchets en France.

Fait notable : c’est un Belge, Guy De Weireld, professeur à l’Université de Mons, qui en assure la coordination. Il faut se réjouir que la Wallonie compte de telles personnalités, sans doute peu connues du grand public, mais capables de jouer un rôle de premier plan international et de coordonner des consortia européens de grande ampleur. Qui plus est sur des projets concrets pour l’industrie, et dans la thématique clé du réchauffement climatique. L’importance du projet se traduit aussi en termes financiers : avec ses 11,1 millions d’euros (dont 2,2 millions pour Mons), ce projet est l’un des plus conséquents qu’une université wallonne n’ait jamais décroché.

Assurer la coordination d’un tel consortium par une entité wallonne est donc remarquable !

Michael Jordan… et un 21 juillet mémorable
Originaire de Wallonie picarde, Guy De Weireld a effectué tout son cursus académique à la Faculté Polytechnique de Mons. Diplômé ingénieur civil chimiste en 1993, il se spécialise en thermodynamique et présente sa thèse de doctorat en 2000, sur la thématique de l’adsorption gazeuse dans des matériaux poreux. La capture et le stockage de CO2 dans les matériaux poreux représentent déjà une de ses activités à l’époque.

C’est un collègue géologue de l’université de Mons qui l’embarque pour la première fois dans un projet européen, en 2005. Il s’agissait de faire des mesures de séquestration du CO2 en veine de charbon. Guy De Weireld commence à se prendre au jeu et participe à plusieurs réunions scientifiques, où il rencontre des collègues de l’université d’Aachen et des industriels.

Un beau jour, en 2006, le professeur Gérard Ferey le sollicite lui aussi pour des mesures ! Ce professeur de chimie français est une sommité mondiale dans le domaine des MOFs. Un peu comme si Michael Jordan vous appelait pour jouer dans son équipe !

Guy De Weireld répond positivement à cette demande et commence à tester des MOFs. Quelque temps plus tard, la même équipe du Pr Ferey décide de répondre à un appel européen et propose de l’y intégrer.

« Je me souviendrai toujours de la 1ère réunion de préparation, elle avait lieu un 21 juillet à Montpellier, j’y suis descendu en TGV. C’est comme cela que toute l’aventure des MOFs a commencé pour nous à Mons », évoque le Montois.

La cinquième fois sera la bonne

Guy De Weireld participera encore à deux autres projets européens de recherche, toujours comme « simple » partenaire ou comme « workpackage leader ». Sur le dernier projet, nommé H2020-Gramofon et clôturé début 2020, les membres du consortium lui avaient proposé la coordination. « J’ai refusé, j’étais craintif, je n’osais pas me lancer dans l’aventure vu la charge. »

Mais Gramofon appelait une suite. Pas directe, car le niveau de maturité de la technologie développée dans Gramofon n’est pas encore suffisant, mais avec une dimension appliquée et des tests en condition réelle. Ce sera MOF4Air. « Nous voulions marquer le coup et montrer que toutes nos recherches sur les MOFs ont de réels débouchés industriels », expose Guy De Weireld.

Cette fois, il accepte la coordination. Pourquoi ?

« J’avais déjà pris part à 4 projets européens, en endossant au fur et à mesure davantage de responsabilités. Je croyais au projet, il mettait en œuvre une série de compétences que j’ai pu développer au fil des années. Notamment le fait d’avoir une vision globale, à la fois scientifique (MOFs, procédés, calcul économique, analyse du cycle de vie), mais aussi industrielle. J’ai une bonne connaissance des besoins et des contraintes des entreprises au niveau des émissions de CO2. Bref, je me suis dit que c’était une opportunité unique et que cela sera sans doute le plus gros projet que j’aurais à mener comme prof d’unif, et j’ai accepté d’en prendre le lead ! »

Tenté par l’aventure européenne ?
Interrogé sur son retour d’expérience, Guy De Weireld partage plusieurs conseils.

  • Réseau – Le NCP Wallonie est très utile sur le chemin européen. L’équipe exerce une veille précieuse, elle screene les appels à projets et vous présente les plus pertinents pour votre activité. Les conseillers lisent les appels de A à Z, c’est très important, car chaque mot compte. Ils peuvent aussi vous mettre en contact avec des partenaires, vous aider à bâtir votre réseau.
    Engagement – Une bonne manière de monter en puissance est de prendre la responsabilité d’un « Work Package ». Certaines parties du projet correspondent davantage à votre domaine d’activité ? Prenez-en le lead.
    Coordination – Si vous ne croyez pas à 100% au projet, n’en prenez pas la coordination. Il faut une bonne idée de l’état de l’art et des débouchés potentiels, et avoir des « end users » intéressés dès le départ : des partenaires industriels forts et investis, et pas seulement des chercheurs ou des équipes de chercheurs. On ne s’improvise pas coordinateur, cela demande du temps : dans mon cas environ cela représente de l’ordre de 20% de temps en plus, une bonne journée par semaine.
    Consortium – La qualité du consortium est essentielle. À chaque fois, j’ai pu constater que si l’initiative venait de deux ou trois acteurs, qui rédigeaient les grandes lignes du projet, puis allaient chercher les compétences correspondantes, cela aboutissait à des projets cohérents. La démarche contraire – un grand groupe de personnes réunies pour « se partager le gâteau » – ne fonctionne pas.
    Consultant – Certaines sociétés de consultance sont spécialisées dans le dépôt de projets européens, leur management, la communication… Les appels sont de plus en plus standardisés, et ces personnes ont l’habitude d’utiliser le bon « jargon » au bon endroit, ce qui fait franchement gagner des points dans la candidature. Dans notre projet, chaque partenaire y consacre un budget de 3000 euros, c’est raisonnable en regard de ce qu’ils apportent.
    Une technologie clé pour la Wallonie

Une technologie clé pour la Wallonie

Lancé à la mi-2019, le projet MOF4Air est prévu jusque juin 2023 (48 mois). Pour l’instant, les différentes étapes se déroulent conformément à la feuille de route

Ce qui amuse Guy De Weireld ? La visibilité accrue à l’échelon belge.

« Ce sont les premières retombées du projet : le nombre de sollicitations locales croît, pour des exposés, des séminaires, … », sourit le professeur.

Plus sérieusement, les résultats sur le plan de la réduction des émissions industrielles sont attendus avec grande impatience par le tissu économique wallon. Le fait de disposer, en Wallonie, de la maîtrise d’une technologie clé de capture du carbone est évidemment stratégique. Plusieurs groupes industriels, membres ou non de l’« Industrial Cluster Board» (voir ci-dessous) sont déjà venus frapper à la porte du professeur montois !

Envie d’emboîter le pas et de rejoindre l’aventure européenne ? Contactez le NCP Wallonie au 010/48 50 39 ou via contact@ncpwallonie.be !

Le projet MOF4Air
Presque tous les Plans Climat intègrent la capture, l’utilisation et le stockage du carbone (CCUS) dans leurs prévisions, cependant la recherche et l’innovation sont absolument nécessaires pour la viabilité de ces plans. MOF4AIR a l’ambition de faire de la CCUS une réalité pour un futur plus durable.

MOF4Air s’inscrit dans Horizon 2020, le programme-cadre de recherche et d’innovation de l’UE doté de 80 milliards d’euros de financement répartis sur 7 ans (2014-2020). Coordonné par l’Université de Mons, MOF4Air s’étale sur 48 mois (juillet 2019 à juin 2023) et regroupe 14 partenaires : 6 centres de recherche, 3 PME spécialisées dans la production et la mise en forme de MOFs à l’échelle industrielle, 3 sites de démonstration, 1 association de cimentiers ainsi qu’une PME spécialisée dans la communication et la dissémination.

Afin de garantir la transférabilité de ses résultats, MOF4AIR comprend aussi un « Industrial Cluster Board » qui opèrera en synergie avec MOF4AIR.

This project has received funding from the European Union’s Horizon 2020 research and innovation programme under grant agreement No. 837975 (MOF4AIR)

Plus d’infos : www.mof4air.eu

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